Cassaigne vue par Père Roger Duvollet :
1889. "Sidi Ali, auquel on
a donné le nom de Cassaigne, ce jeune officier mort en Crimée où il
avait accompagné le Général Pélissier, dont il était l'aide de camp
préféré... est capitale du Dahra... ajoutons occidental pour ne pas
froisser Renault qui peut revendiquer pareil honneur pour la partie
orientale.
Créé en même temps que Ouillis et Bosquet en 1873,
Cassaigne est le siège de la Commune mixte de ce nom, ainsi que d'une
Justice de paix et de tous les services publics et fonctionnaires :
domaines, contributions diverses, re-partiteur, médecin de
colonisation, etc...
Ce centre qui compte 15 ans d' existence
possède une population de 521 habitants dont 363 français. Le
territoire de colonisation, qui. n'est pas très étendu, 1283 hectares
seulement, a servi à constituer 50 concessions agricoles, dont 24 ont
été attribuées à des Alsaciens-Lorrains qui ont reçu comme ceux de
Bosquet : maison, cheptel, instruments aratoires, semences et vivres.
Le
village s'est développé si rapidement que, dès les premières années, il
a fallu, pour répondre aux besoins d'extension qui s'étaient
manifestés, songer à augmenter le nombre de lots à bâtir. 18 nouveaux
furent formés, qui ne tardèrent pas à être tous demandés et occupés. Le
village est admirablement situé sur un plateau légèrement incliné d'où
l'on aperçoit à la fois le Chélif et la mer. Il est placé sur les 2
côtés de la route du Dahra, mais en plus grande partie au N., un peu
au-dessus des sources de Sidi Ali qui, dans les débuts avaient été
seules captées pour son alimentation.
Quelques années plus tard,
en raison même de son prompt développement, on se vit dans l'obligation
de lui procurer de nouvelles ressources en eau. Heureusement que, pas
bien loin de là, à 3 km à peine, se trouvait une autre source, celle de
Sidi Afif qu'il a été facile de capter et d'amener au village, avec cet
avantage que celle-ci a pu être conduite dans l'intérieur même du
centre.
Enfin, on a aménagé également une petite source donnant
2 à 3 litres à la minute, l'Ain Taousna, qui alimente aujourd'hui un
abreuvoir placé sur la route du Dahra, du côté de Renault. Cette source
formait deux petites mares fétides que les troupeaux indigènes
remplissaient de leurs déjections. Quoique à 2 ou 3 km du village, elle
était pour lui une eau d'insalubrité permanente. En l'aménageant, on a
fait disparaître ce cloaque, et on a exécuté un travail profitable à la
fois aux colons et aux indigènes.
Cassaigne peut être considéré
comme un point stratégique important à occuper. Situé à 50 km de
Mostaganem, il suffisait d'une marche en deux étapes pour qu'une
colonne arrivât sur ce point et séparât ainsi le territoire du Djébala
du groupe des autres tribus. Une marche permettait ensuite d' aller
occuper Nekmaria, point de partage obligé pour toutes les opérations de
guerre du Dahra. En attendant les secours, si quelque danger venait à
éclater, la population trouverait un refuge dans le réduit où sont
réunis l'école, l'église, le presbytère et la gendarmerie.
En
face, au bout d'une longue avenue, bordée de chaque côté par les
nouveaux lots à bâtir, se dresse le coquet bâtiment qui sert de
logement et de bureau à l'Administrateur de la Commune Mixte. Au
dessous se trouvent le Jardin Public et la Pépinière par le 1er
Administrateur de ce Centre devenu depuis Sous-Préfet, malgré les
critiques que, sous la forme d'articles humoristiques publiés jadis
dans les colonnes de l'Echo, un colon facétieux s'acharnait à épingler
sur l'échine de Tata Ben Guigi, et peut-être à cause de cela comme
dédommagement des tracasseries injustes auxquelles il avait été en
butte .
Cassaigne ne s'est pas développé seulement comme
population là, comme à Bosquet, les colons ont travaillé et bûché, et
les résultats leur font grandement honneur, comme si, aux abords du
village, à l'E, et au S. on remarque des terres de 1ère qualité, par
contre, au N., une partie du territoire est sillonné de ravins et
composé de terrains argilo-calcaires assez difficiles à exploiter.
L'importance
de Cassaigne va s'accroître encore par la création de deux nouveaux
centres placés sur le chemin qui mène du village à la mer. L'un, Aïn el
Hammam, portera le nom de Lapasset, bien connu des anciens habitants de
Mostaganem, ce vaillant Général qui, à Metz, a mieux aimé brûler les
drapeaux que de les livrer à l'ennemi. L'autre, Portciolli, nom sous
lequel il est actuellement connu (nous ignorons par qui ce lieu a été
baptisé), prendra celui de Petit-Port, appellation qui indique sa
destination future: ce sera un village de pêcheurs et de caboteurs.
Quant aux premiers, les colons qu'on y placera auront certainement pas
à se plaindre outre la bonté du sol et du climat ils auront, sur leurs
devancier l'avantage d'arriver dans une contrée où la colonisation a
fait victorieusement ses preuves."
Le Guide Bleu 1955 signale
Petit-Port comme une station balnéaire et un abri sûr. Il dit que
Lapasset a été créé en 1890 et cède un terrain d' atterrissage, un
marché le vendredi. Il signale enfin la présence d'un autre Centre,
Picard, hameau industriel, aux abords de la forêt des Zérifa (thuyas,
genévriers et arbousiers) sur 12 km. Le plateau, monotone ensuite, est
couvert de vignes et coupé de vallées .En 1955, Cassaigne a 47.300
habitants
Mr Salcédo précise que Cassaigne était une Commune qui
comprenait Lapasset et Picard au N, au S.0 Bosquet devenu très vite
commune de plein exercice, et Ouillis demeuré attaché à Cassaigne
jusqu'à l'indépendance. Ces communes avaient à leur tête un
adjoint-spécial qui gérait avec ses conseillers leur commune. "Quand il
y avait une réunion du Conseil à la Commune-Mixte, tous ses élus
étaient présents, ainsi que plusieurs Caids et Présidents de Djemaa, 10
Musulmans au total donc avec l'Administrateur Principal et
l'Administrateur Adjoint, ils étaient presque à tous les coups
majoritaires."
La Commune-Mixte était située au bas du village,
dans une des rues principales qui était bordée de beaux arbres bien
taillés au carré, des ficus toujours verts, été comme hiver.
Vers
1927-28, l'Administrateur était Mr Wrolik. Le 1er administrateur serait
Mr Castanet, devenu Sous-Préfet de Tiaret. De 1946 à 1954, Mr Mousot
qui a fait faire le Mt aux Morts et la Salle des Fêtes. Son adjoint, Mr
Choiral fut ensuite nommé Sous-Préfet dans la région de Sidi Bel-Abbès.
Mr Olme a doté la Commune d'un stade de foot-ball. Mr Lucchini fit
faire la Place avec ses palmiers, ses bancs de pierre de taille, son
centre carrelé, "l'une des plus belles places d'Oranie ". Le 1er
Sous-Préfet, et le dernier, jusqu'en 1962, fut Mr Chavanne. Il avait
été nommé par le Gouverneur d'Algérie, Jacques Soustelle, en 1956.
Il
ne serait pas correct, écrit Mr Salcédo, de ne pas citer un nom qui a
fait beaucoup sous le règne des Administrateurs et Sous-Priéfet qui se
sont succédés depuis 1933: Mr Louis Delas. Ce Métropolitain, natif des
Pyrénées, venu à Cassaigne comme secrétaire-adjoint de Commune-Mixte,
et ensuite attaché de Préfecture jusqu'en 1963, marié à une Pied-Noire,
ne voulut pas quitter Cassaigne alors qu'on lui offrait à plusieurs
reprises des postes en avancement, il était devez plus Pied-Noir que
nous! Il a même aidé le 1er Sous-Préfet musulman après 62. Ce dernier
aurait bien voulu le conserver, car, venu de la rébellion, il ne
connaissait rien dans les services de l'Administration; mais Mr Delas
ne l'entendit pas de cette oreille et s'envola vers la Métropole, comme
nous tous, hélas."
Le Bordj a été construit après la conquête de
l'Algérie, les gens qui habitaient à l'extérieur venaient s'y réfugier
en cas d'attaque des tribus rebelles. Il était fermé par un grand
portail et entouré de murs assez hauts avec des meurtrières. Sur la
Place, il y avait le logement du Secrétaire de Mairie et celui du Curé,
chacun avec une cour et un jardin. Il y avait aussi l'appartement de
l'Administrateur-adjoint, le principal ayant son appartement ; siège de
la Commune-Mixte, en bas de la rue. Il y avait également les deux
appartements des Instituteurs, et les deux écoles des garçons, avec une
grande cour des préaux. Bien plus tard, on avait construit un Groupe
scolaire de plusieurs classes."
Le Curé qui est resté le plus
longtemps, depuis 1918 ou 20 jusqu'en 1943, est le curé Briand. A cette
époque, j'étais mobilisé, écrit toujours Mr Salcédo. A mon retour,
j'appris qu'il était parti dans une commune plus petite près de
Mostaganem. Son logement était occupé par un Juge de Paix.
Le
Curé de Cassaigne assurait les 4 paroisses : Bosquet, Lapasset, Picard
et Cassaigne. Le suivant fut le curé Giménez, natif de Lapasset où il
habitait. Il fut ensuite muté à Aïn el Arba. Il fut remplacé par le
Curé Weber, de nationalité luxembourgeoise, qui habitait également
Lapasset, spécialiste des accidents d'auto ; il a rejoint son pays
après l'indépendance. Le dernier fut le curé Kriter, d'origine
alsacienne est parti en 1963. Nous l'avons revu à Mulhouse, il venait
de rentrer d'Algérie." L'église est devenue mosquée.
Un service
vicinal existait jusqu'en 1944 et ensuite ce furent les Ponts et
Chaussées. Jusqu'en 1933, un agent-voyer s'occupait de la subdivision.
Le dernier fut Mr Arcambal. De 1933 à 1945, le 1er ingénieur fut Mr
Egcalier, puis Mr Bic, Mr Attuil, Mr Spitéri. Ce sont de jeunes
ingénieurs dynamiques et sympathiques qui entament de grands travaux
routiers. Le dernier, Mr Voignier, continue le programme de réfection
des routes, surtout après le fameux Plan de Constantine qui coûta des
milliards! Il fallait liquider les crédits à fonds perdus avant la fin
de l'année...
Le Ier Maire.. et le dernier fut Me Van Benedem,
notaire métropolitain, installé depuis peu à Cassaigne et remplacement
de Me Valentin qui va s'installer à Mostaganem. Les médecins, appelés
médecins de colonisation, avaient un traîtement de fonction et un
logement gratuit. Celui qui est demeuré lé plus longtemps jusqu'en 33
ou 34, fut le Dr Manier, appelé le Dr des Pauvres. Les familles avaient
beaucoup d'enfants à l'époque, c'était courant, ne payaient rien. Son
remplaçant fut le Dr Fournier ; il dut assumer l'épidémie de 1936. Dans
la famille Mr Salcédo, 3 filles moururent en l'espace de 10 jours! Le
suivant fut le Dr Guibert, un Oranais très jeune. Enfin, le Dr Violet,
enfant du pays, très peu intéressé ; c'était le docteur de famille que
tous aimaient ; il quitta Cassaigne en 1961. En 1963 vint un médecin de
l'Est, ne parlant ni français ni l'arabe ; il eut à soigner un arabe
mordu par un chien enragé et, bien sûr, le malheureux mourut ; les
Arabes ne voulaient plus : entendre parler de ce docteur.
Un des
premiers français tués en 1954 le fut à Cassaigne, dans la nuit du 31
octobre au 1er novembre, un jeune homme nommé Laurent, de Picard,
venant de Mostaganem, essuie des coups de feu après Ouillis. Il se
dirige vers Cassaigne pour avertir la Gendarmerie et sonne au portail
qui est fermé. Un coup de feu part d'une haie de l'autre côté de la
route. Le jeune homme est tué d'une balle en pleine tête; il demeura
jusqu'au matin, car les gendarmes, entendant le coup de feu,
n'ouvrirent pas ; bien leur en prit, car le commando avait reçu l'ordre
d'attaquer la Gendarmerie pour y prendre les armes. L'armée attrapera
deux d'entre eux.
CASSAIGNE & PETIT-PORT
Extrait de " Pieds-Noirs et autres tribus d'Afrique du Nord", tome 13.
Par Père Roger Duvollet
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